A travers sa société, Territoires & Marketing, Laurent Kruch a réalisé pour A2C et la SNCF un logiciel de géomarketing, outil d’analyse d’aide à la programmation commerciale. Il nous explique les caractéristiques du marché des commerces en gare.
Pourquoi le potentiel du commerce en gare reste sous-estimé ?
Le commerce en gare est un sujet atypique puisqu’il ne concerne que 1 500 points de vente sur les 210 000 existants et 0,2% de la surface commercialement exploitée en France[1]. Il intéresse les enseignes pour plusieurs raisons. D’une part, il est un fort vecteur de notoriété auprès de la population. Le trafic passager implique une hyper visibilité. Cela explique par exemple qu’une enseigne comme Columbus Café, qui compte une quarantaine de coffee-shops en France mais est bien implantée dans les gares, a acquis une grande notoriété, malgré une faible représentativité sur le territoire. D’autre part, le commerce en gare bénéficie de rendements en chiffre d’affaires et d’un panier élevés.
Pourtant le potentiel du commerce en gare reste sous-estimé, voire sous-évalué. Les gares sont des lieux fréquentés par 70% des français et 60% de ses visiteurs y effectuent des achats. Si les trois-quarts des acheteurs sont des voyageurs de train, leurs accompagnants ou des personnes en transit entre d’autres modes de transport comme le métro ou le bus, un quart des acheteurs sont des riverains du lieu. Le commerce en gare est une alternative à une implantation traditionnelle en centre-ville. Il se développe de plus en plus sous forme de pôles de commerce s’affranchissant de certaines complexités immobilières telles que le droit au bail, tout en profitant d’un emplacement privilégié, correspondant à un emplacement numéro 1-bis ou 2.
Quelles sont les caractéristiques de l’achat et de la clientèle en gare ?
75% des achats durent jusqu’à 20 minutes en gare et 35% des achats ne dépassent pas les dix minutes. Ce rapport avec des consommateurs pressés a notamment un fort impact sur le merchandising, la rapidité de traitement en caisse et l’aménagement du magasin. On observe même une tendance à un regroupement des caisses de plusieurs points de vente, bien que ces derniers appartiennent à des enseignes différentes. Malgré les conditions parfois difficiles en gare – froid, bousculade, insécurité -, les consommateurs restent satisfaits de leurs actes commerçants, leur attribuant une note de 7 sur 10, selon une enquête Opinion Way. La société A2C et la SNCF ont aujourd’hui une exigence : habiller les gares de commerces et de transformer ces endroits de passage en centres de vie.
Comment les enseignes peuvent-elles s’insérer dans l’espace commercial d’une gare ?
On distingue trois types de zones. L’une pour les achats utilisés dans le train, située en accès aux quais, avec une logique de rapidité dans la consommation. Une autre pour les services, un espace ouvert aux facilitateurs du quotidien, avec des boutiques de loisirs et de culture – pour effectuer un cadeau – ou consacrées au business multimédia, pour un dépannage. Une dernière, située en recul des quais, voire en façade de gare, est destinée au shopping.
Aucune enseigne ne peut conserver 100% de son offre en gare, même dans la restauration, en raison des espaces réduits et des attentes de la clientèle. Tout réseau doit ainsi se recentrer sur son originalité et ses valeurs profondes pour proposer au consommateur les 20% de son offre réalisant 80% de son chiffre d’affaires distribués habituellement dans ses points de vente.
Comment déterminer la « valeur commerciale » d’une gare ?
Il faut tout d’abord savoir que la fréquentation d’une gare n’est pas forcément proportionnelle à la taille de la ville. Par exemple, Rouen présente une activité de transit voyageurs équivalent à Lyon-Perrache. Dans la perception de la valeur commerciale d’une implantation en gare, outre la fréquentation du lieu, il faut aussi considérer les règles d’occupation du local. L’autorisation d’occupation temporaire présente un avantage majeur : il n’y a pas de droit au bail, le loyer représentant un pourcentage du chiffre d’affaires. L’immobilier commercial n’est pas soumis à la loi de l’offre et de la demande comme en centre-ville. Il est régi par des appels d’offres. Le choix est opéré par rapport à la pertinence des besoins des consommateurs et au rapport du chiffre d’affaires que l’enseigne décide de proposer à la SNCF ou à ses filiales en charge de la commercialisation des espaces commerciaux en gare.
Enfin, il faut aussi considérer le proche environnement de la gare. Par exemple, à cinq minutes à pied de la gare de Cannes en pleine rénovation, on compte 4000 habitants, 6500 salariés et 800 commerces pour 3,5 millions de voyageurs.
Propos recueillis par François Simoneschi, rédacteur en chef de La Référence Franchise
[1] Source : Cushman & Wakefield
Laurent KRUCH